Tuesday, January 30, 2007

Interview exclusive de Bertrand Gobin, auteur du Secret des Mulliez


Son livre est à ma connaissance le plus gros succès de l'auto-édition en France, avec largement plus de 10 000 exemplaires vendus en 6 mois, mais personne n'en parle. Nous avons voulu en savoir plus sur ce succès.

1. Où en sont les ventes de votre livre, et quelles difficultés et/ou> facilités avez-vous rencontré dans la commercialisation de votre livre ?
Sorti en octobre 2006, après cinq mois de pré-vente par souscription quiavaient généré 2 500 commandes, le livre était jusqu'au début décembre venduuniquement par correspondance, via mon site http://www.lempiredesmulliez.com/ . Afind'élargir la diffusion, j'ai mis l'ouvrage à disposition des libraires débutdécembre. Actuellement, près de 15 000 exemplaires ont été vendus et lequatrième tirage est en cours. L'auto-édition est relativement aisée àorganiser, tout comme la vente par correspondance. La diffusion /distribution aux libraires, en revanche, l'est beaucoup moins, enparticulier lorsqu'il s'agit de traiter les commandes de petits points devente qui commandent un seul exemplaire. Cela dit, dès lors que l'on achoisi de travailler avec les libraires, il faut accepter de lesapprovisionner tous, les gros comme les petits.

2. Combien de maisons d'édition aviez-vous informé de votre projet,combien ont refusé, et qu'est-ce qui vous a poussé à vous lancer seul dans l'aventure ?
Basé en province, ne disposant pas de réseau sur Paris, je ne suis pasparvenu à convaincre les grandes maisons d'édition qu'elles avaient intérêtà éditer mon enquête. Qui plus est, elles étaient très méfiantes vis-à-visdes réactions des Mulliez. Une petite dizaine ont été démarchées au total.

3. Votre qualité de journaliste professionnel, dans la presseprofessionnelle spécialisée du domaine où vous réalisiez l'enquête, n'a-t-il> pas fait hésité certaines maisons ?
Il est évident - et c'est là encore une question de réseau et de relations -que les éditeurs se sentent sans doute plus rassurés par des plumes connuesou signant dans des journaux réputés. Par contre, je ne pense pas que lefait que je travaille dans le secteur concerné par l'enquête ait généré desrefus spécifiques. Les refus étaient plus en amont, au niveau même du sujet.

4. Pensez-vous que des maisons d'éditions regrettent aujourd'hui de ne pas avoir édité votre livre, étant donné la couverture médiatique importante qu'il a reçu, et les ventes très importantes qu'il aurait généré s'ilavait> été dans le circuit traditionnel de distribution (Fnac, Virgin, grandes surfaces... sauf peut-être les Auchan!) ?
Bien sûr. J'ai eu des contacts, depuis, avec quelques maisons maisaujourd'hui, je ne regrette vraiment rien. S'auto-éditer offre lapossibilité d'accompagner son manuscrit plus loin, de maitriser des élémentssur lesquels d'ordinaire les auteurs n'ont jamais la main. C'est aussil'occasion d'avoir une vision beaucoup plus globale de la vie de l'ouvrage.Aujourd'hui, sur la base de cette première expérience, c'est comme si, dansla foulée de mes deux années d'enquête, j'avais fait un stage de "patron de PME".

5. L'argument selon lequel le groupe Mulliez est le 1er annonceur publicitaire en France, ce qui est vrai, est la raison qui a fait renoncer les maisons d'éditions tient-il quand on voit qu'un magazine comme Capital, qui dépend de la publicité, a fait sa "une" avec vos révélations ?
Tous les médias n'ont pas la même manière de traiter l'actualité de firmesqui peuvent être parmi leurs gros annonceurs. Certains sont très prudents,d'autres se font peurs tous seuls. Vous citiez Capital : c'est un magazinequi n'hésite pas à publier des articles pouvant être très critiques,notamment sur la distribution. Ce qui est sûr, c'est qu'une fois le livresorti, mon intérêt est qu'un maximum de médias aient envie d'en parler.

6. Vous annoncez à deux reprises dans votre livre, p. 239 et 302, que vous préparez un prochain livre, sur les entreprises du groupe et l'expériencede ses salariés, dont vous avez beaucoup recueillis de témoignages pendant votre enquête. Quand pensez-vous sortir ce livre, et en annonce-t-ilencore d'autres, sur d'autres sujets peut-être ?
Mon calendrier n'est pas arrété car j'ai encore beaucoup à faire pour cepremier livre. En outre, depuis novembre, je suis très sollicité. Je doisréfléchir à ce que j'ai envie de faire, hiérarchiser les priorités. Je vaisprochainement prendre une disponibilité pour faire le point et décider quels nouveaux projets mettre en route.

7. Que tirez-vous de votre expérience de vente de votre livre uniquement par Internet ?Internet est un outil extraordinaire pour les auteurs indépendants. Il m'apermis de faire connaitre mon enquête, de lancer de buzz, de collecter lessouscriptions. Aujourd'hui encore, une part significative des ventes du"secret des Mulliez" se fait sur le web. Il est donc très complémentaire dela diffusion "physique". Par ailleurs, j'ai mis en ligne un blog sur lequelles lecteurs viennent déposer leurs commentaires, c'est très interactif.

8. Sur le fond, votre livre n'écorne pas vraiment le clan Mulliez, simplement il dévoile certains aspects de leur réussite. Pourtant la grande distribution en général, et Auchan en particulier, ne sont pas particulièrement tendres avec leurs employés, leurs syndicats, etc. alors pourquoi n'avoir abordé les "sujets qui fâchent" qu'au détour d'une phrase?
Mon enquête est une enquête objective qui visait à expliquer comment /pourquoi cette famille était parvenu à bâtir un tel empire. Pour ce premierlivre, j'ai choisi de me focaliser sur la famille, son histoire, son pacte,son organisation patrimoniale. La saga des entreprises fera l'objet d'unsecond livre. "Ecrire, c'est choisir", comme on enseigne dans les écoles dejournalisme. Cela dit, interrogez Gérard Mulliez : je ne suis pas persuadéqu'il ait fait la même lecture que vous de cet ouvrage. Il y a en tout caspas mal de sujets qui l'ont fâché.

9. Quelle ont été les réactions à ce jour du groupe par rapport à la publication de votre livre et de ses conséquences, sa médiatisation, etc.?
Officiellement, l'AFM [l'Association familiale Mulliez, ndlr] n'a pas souhaité réagir. J'ai reçu quelques mails oucourriers des uns ou des autres, à titre individuel. D'un côté des messagesqui disent "votre bouquin ne contient pas d'erreur et en plus, il estpassionnant". De l'autre, des messages du style "arrêtez le massacre, noussaurons trouver les corbeaux qui vous ont parlé". Jettez un oeil à mon blog,certains commentaires ont tout l'air d'avoir été posté par des Mulliez.

10. Avez-vous l'intention d'enquêter de la même façon pour d'autres livres sur les autres grands groupes de la distribution française, Carrefour,> Casino, etc. ?
Pourquoi pas. Mais les deux entreprises auxquelles vous faites référence neprésentent pas le même intérêt car elles sont cotées et on sait déjàbeaucoup de chose. Pour faire une bonne enquête, il faut d'abord un bon mystère, une bonne couche d'opacité, de secrets bien gardés ..."

Merci d'avoir pris la peine de répondre à nos questions M. Gobin.